La région du Sahel est aujourd’hui au bord d’une crise humanitaire majeure, où la faim n’est plus une menace lointaine, mais une réalité quotidienne pour des millions de personnes. Située entre le Sahara au nord et les savanes au sud, cette bande de terre traverse plusieurs pays — dont le Burkina Faso, le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie — et est frappée de plein fouet par deux fléaux qui se renforcent mutuellement : les bouleversements climatiques et les conflits armés chroniques.
Le chiffre clé du jour
3,4 millions de personnes sont en situation de faim d’urgence en 2024 au Sahel.
(Source : Programme alimentaire mondial)
Une insécurité alimentaire hors normes
Selon les données publiées en mars 2024 par le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 40 millions de personnes en Afrique de l’Ouest et du Centre sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Ce chiffre, déjà alarmant, pourrait atteindre 52 millions d’ici la mi-2025 si la situation continue de se détériorer sans réponse coordonnée.
Parmi elles, 3,4 millions de personnes sont en situation de faim d’urgence, classée phase 4 sur 5 selon l’échelle IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire), ce qui signifie qu’elles sont au bord de la famine. Ce chiffre a bondi de 70 % par rapport à l’année précédente, une progression dramatique révélatrice de l’ampleur de la crise en cours.
Source : Les Échos, « Afrique : l’aide alimentaire ne suffira pas à conjurer la crise qui s’annonce », 30 mars 2024.
Le climat, un facteur de plus en plus destructeur
Les effets du changement climatique dans le Sahel sont de plus en plus visibles et dévastateurs. La région subit une hausse des températures 1,5 fois plus rapide que la moyenne mondiale, ce qui perturbe gravement les cycles agricoles. Les précipitations sont devenues plus erratiques, alternant entre sécheresses sévères et inondations extrêmes, rendant les récoltes imprévisibles et de plus en plus maigres.
Au Sénégal, par exemple, de violentes inondations ont frappé l’est du pays à l’automne 2024, détruisant des milliers d’hectares de cultures. Près de 250 000 personnes, essentiellement des familles rurales, dépendent de ces terres pour se nourrir ou vendre leur production. Pour beaucoup d’entre elles, c’est désormais la survie qui est en jeu.
Dans d’autres zones sahéliennes, la désertification progresse, réduisant les pâturages disponibles pour les éleveurs nomades. Les tensions entre agriculteurs et éleveurs, tous deux poussés vers les mêmes terres rares et fertiles, se multiplient.
Cette crise est multifactorielle. Le graphique ci-dessous illustre la répartition estimée des causes principales de l’insécurité alimentaire dans la région.
Les conflits, principal obstacle à la résilience
Mais le climat n’est qu’une partie du problème. Depuis plus d’une décennie, le Sahel est ravagé par des conflits armés chroniques, notamment à cause de la présence de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique.
Ces violences, mêlées à des coups d’État successifs et à des faiblesses étatiques, empêchent les populations d’accéder aux marchés, aux services sociaux et à l’aide humanitaire.
Au Burkina Faso, plus de 2 millions de personnes ont été déplacées par les combats. Beaucoup ont dû abandonner leurs terres, interrompre leurs cultures, et vivent désormais dans des camps avec un accès limité à la nourriture. Dans certaines zones du nord du Mali ou de l’ouest du Niger, les agences humanitaires ne peuvent même plus intervenir en raison de l’insécurité.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a rappelé que l’insécurité alimentaire et les conflits s’autoalimentent : la faim pousse les jeunes à rejoindre des groupes armés, tandis que les combats empêchent toute production agricole durable³.
Des enfants en première ligne
Les enfants sont parmi les plus vulnérables dans cette crise. Selon UNICEF, plus de 16 millions d’enfants au Sahel sont menacés par la malnutrition aiguë, dont 5 millions en danger de mort immédiate si aucune intervention rapide n’est menée.
Dans les zones les plus touchées, 1 enfant sur 3 souffre de malnutrition chronique, ce qui affecte irréversiblement leur croissance physique et intellectuelle. L’accès à l’eau potable, aux soins de santé et à l’éducation est également compromis, menaçant toute une génération.
L’aide humanitaire, une goutte d’eau dans le désert ?
Malgré les appels répétés des agences de l’ONU et des ONG, l’aide humanitaire reste largement insuffisante. En 2024, le financement pour les opérations dans le Sahel n’a atteint que 38 % des besoins identifiés par le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA).
La situation est d’autant plus critique que les prix des denrées alimentaires ont explosé : au Tchad, par exemple, le prix du mil – aliment de base – a augmenté de près de 50 % en un an, rendant l’accès à la nourriture impossible pour les plus pauvres
Quels leviers pour agir ?
Face à cette urgence multidimensionnelle, plusieurs pistes d’action sont évoquées :
- Renforcer les systèmes alimentaires locaux, en soutenant les petits producteurs et en investissant dans des semences résilientes à la sécheresse ;
- Accroître l’aide humanitaire immédiate, notamment pour les populations déplacées ;
- Investir dans des solutions durables : irrigation, stockage, diversification des cultures, etc. ;
- Soutenir la paix et la stabilité dans la région par la diplomatie et des initiatives communautaires de résolution des conflits.
Une tribune signée par une coalition d’ONG en octobre 2024 a notamment appelé la France et l’Union européenne à augmenter leurs investissements dans la sécurité alimentaire et la résilience des populations.
La Banque mondiale, elle, insiste sur la nécessité pour les pays sahéliens de diversifier leurs économies, afin de ne plus dépendre exclusivement de l’agriculture et de mieux faire face aux chocs extérieurs.
Vers un avenir incertain
Le Sahel se trouve aujourd’hui à un carrefour historique. Si la communauté internationale échoue à agir rapidement et efficacement, la région risque de sombrer dans une crise humanitaire de grande ampleur, avec des répercussions bien au-delà de ses frontières : migrations massives, instabilité régionale, expansion des réseaux extrémistes.
Mais avec des politiques coordonnées, une volonté politique forte, et une mobilisation des ressources, il est encore possible d’éviter le pire. La faim n’est pas une fatalité. Elle est le résultat de décisions humaines, et donc, peut encore être combattue par des solutions humaines.
Commentaires
Enregistrer un commentaire