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Quand les soignants quittent leur pays : comprendre l’exode médical

 

De Dakar à Kaboul, de Tunis à Bucarest, l’exode des soignants s’intensifie. Médecins, infirmier·ères, aides-soignant·es, chirurgien·nes… Ils et elles sont des milliers chaque année à quitter leur pays d’origine pour travailler à l’étranger, souvent dans de meilleures conditions. Ce phénomène mondial bouleverse l’équilibre des systèmes de santé, creuse les inégalités et pose une question cruciale : peut-on former des soignants pour les voir partir ailleurs ?

Le chiffre clé du jour

1 médecin sur 4 exerçant en France en 2023 a été formé à l’étranger.
(Source : OCDE, 2024)

Un phénomène mondial en accélération

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte : la migration internationale des professionnels de santé est en nette augmentation. Selon les données de l’OCDE, près de 6,5 millions de soignants migrants exercent dans les pays membres. Au Royaume-Uni, un infirmier sur trois vient désormais de l’étranger. Au Canada, les candidatures de médecins francophones d’Afrique ont bondi de 40 % entre 2020 et 2024.

Cette migration est souvent présentée comme une réponse aux pénuries dans les pays du Nord. Mais elle accentue les déséquilibres dans les pays du Sud, où les hôpitaux se vident de leurs forces vives.Le nombre de départs a presque triplé en 15 ans, illustrant l’ampleur croissante de l’exode médical.

Pourquoi les soignants quittent leur pays ?

Plusieurs causes se cumulent pour expliquer cette fuite :

  • Rémunérations faibles : Un médecin en RDC gagne environ 300 $ par mois, contre 6 000 $ au Canada.

  • Charge de travail excessive : Manque de matériel, de collègues, de médicaments… de nombreux soignants travaillent dans des conditions intenables.

  • Manque de reconnaissance : En Tunisie, beaucoup dénoncent une dévalorisation du statut médical.

  • Instabilité politique ou économique : En Haïti, au Liban ou au Cameroun, les crises multiples poussent à fuir.

« J’ai étudié 10 ans, j’ai travaillé 60 heures par semaine… et je n’arrivais pas à nourrir ma famille. »
— Médecin anesthésiste, exilé au Québec

Des systèmes de santé vidés de leurs forces

L’impact est considérable. En Afrique subsaharienne, certains pays comptent moins de 1 médecin pour 10 000 habitants, bien en-dessous du seuil recommandé. Quand un hôpital de région perd ses chirurgiens ou son seul pédiatre, la prise en charge des patients devient impossible.

En Tunisie, plus de 1 500 médecins ont quitté le pays entre 2020 et 2023. Le Sénégal voit partir ses jeunes diplômés dès l’internat. La perte est double : humaine et économique. Chaque médecin représente des dizaines de milliers d’euros investis en formation, souvent par l’État.

Citation en exergue

« Former pour partir : c’est la logique absurde de l’exode médical. »
— Rapport OMS sur la mobilité des soignants (2023)

Les pays du Nord : solution ou problème ?

En France, Allemagne, Suisse, les systèmes hospitaliers recrutent massivement à l’international, faute d’avoir anticipé leurs propres pénuries. C’est notamment le cas dans :

  • Les EHPAD

  • Les hôpitaux de zones rurales

  • Les blocs opératoires


Le Royaume-Uni et le Canada comptent plus de 30 % de médecins formés à l’étranger, contre 12 % en Allemagne.

Cette dépendance à la main-d’œuvre étrangère soulève des questions éthiques : peut-on combler ses manques en déstabilisant des pays déjà fragiles ?

« L’Europe soigne sa pénurie avec les moyens du Sud. C’est efficace… mais injuste. »
— ONG Santé mondiale équitable, 2024

Reconnaissance, barrières et tensions

Pour les soignants migrants, l’intégration n’est pas toujours simple :

  • Diplômes non reconnus

  • Langue et culture médicale différentes

  • Discriminations dans les recrutements ou au sein des équipes

  • Pressions pour rester dans des postes moins qualifiés

Au Canada, plusieurs médecins formés à l’étranger doivent exercer comme aides-soignants en attendant leur reconnaissance.

Vers une régulation mondiale du phénomène ?

L’OMS plaide pour un cadre éthique global. En 2010, un code de conduite volontaire a été adopté, appelant les pays à :

  • Former localement

  • Ne pas recruter activement dans les pays « en tension »

  • Signer des accords bilatéraux équitables

  • Favoriser la mobilité circulaire

Mais les moyens de contrôle sont faibles, et les intérêts économiques priment souvent sur la coopération sanitaire.

Des initiatives pour rééquilibrer

Certains projets tentent d’apporter des solutions :

  • Programmes de retour volontaire (Bénin, Maroc) : offrir des incitations pour revenir exercer après une expérience à l’étranger.

  • Formations partagées : double diplôme entre facultés européennes et africaines.

  • Revalorisation salariale : en Côte d’Ivoire, une prime spéciale a été mise en place pour retenir les anesthésistes.

Mais ces mesures peinent à suivre l’ampleur du phénomène.

Conclusion : vers un nouvel équilibre ?

L’exode médical est un défi global, qui appelle des réponses coordonnées. Il ne s’agit pas d’empêcher les soignants de partir – leur liberté est légitime – mais de créer les conditions d’un choix éclairé, équitable et durable.

Investir dans la santé au Sud. Former davantage. Mieux répartir les ressources. Repenser la mobilité comme un échange et non comme une fuite.

Sources

  • OCDE – Migration internationale des soignants (2024)

  • Le Monde – Immigration : records portés par les soignants

  • Le Temps News – Tunisie et fuite des médecins

  • Africanews – Cameroun : départs vers le Canada

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